samedi 25 février 2012

Notions - les couleurs

Les couleurs sont appelées "émaux" dans les traités du blason.
     L'ensemble des couleurs comprend les métaux (or et argent), les émaux, appelés couleurs (gueules, azur, sinople et pourpre) et les fourrures (hermine et vair)
Illustration d’après le cédérom L'univers du blason (©BNF)
[FRA émail ou couleurs ; ENG enamel ou colours ; DEU Farbe ou Tinktur ; NED ?? ; ESP esmalte ou colores ; ITA smalto ou colori]
[FRA métaux ; ENG metal ; DEU Metalle ; NED ?? ; ESP metales ; ITA metalli]
[FRA fourrures ou pannes ; ENG fur ; DEU Pelzwerk (ou Kürsch, si naturelle) ; NED ?? ; ESP forro ; ITA pellicia]
     L’or et l’argent sont représentés par le jaune et le blanc. Le gueules correspond au rouge, l’azur au bleu, le sinople au vert et le pourpre au violet. 
     L’hermine et le vair sont des combinaisons de noir sur blanc (queues noires cousues sur le pelage blanc hivernal de l'hermine) et de bleu avec blanc (alternance de pièces de peau du dos et du ventre du vair ou écureuil petit-gris).
"d’hermine plain", Le duc de Bretagne, Armorial Gorrevod, p. 66 (d'après Boos 2)
 "de vair plain", peut-être Somerset, Grand armorial équestre de la Toison d'Or,  Angleterre, f°79v (©BNF)

"de vair au naturel au pal d’hermine au naturel", Bregenz, Die Wappenrolle von Zürich 32 (d'après Boos 8)
      Les trois termes “couleur”, métal et “émail” sont des termes théoriques, presque jamais utilisés dans un blasonnement. On constate, historiquement, que la frontière entre les “émaux” et les fourrures est un peu floue. En effet, parmi les "émaux", sable correspond étymologiquement au nom ancien de la zibeline et gueules est à l’origine une fourrure, prélevée au niveau du cou des animaux et teinte en rouge. Pourpre a longtemps été considéré comme un hybride métal/“émail”, du fait de sa couleur d’origine qui tirait plus sur le gris-brun que sur le violet (Pastoureau 1979:101-102).

Règle des couleurs
     Le blason est régi par une règle que l’on préfère ne pas enfreindre. C’est la règle des couleurs : « Ni métal sur métal, ni couleur sur couleur [= ni "émail" sur "émail"] ». C’est ainsi qu’il vaut mieux éviter de mettre du jaune sur du blanc et inversement, ou encore de superposer, par exemple, du bleu sur du rouge, du vert ou du noir. 
     Cette règle a été édictée pour permettre une meilleure lisibilité, améliorée par le contraste entre couleurs claires et couleurs soutenues. M. Pastoureau (cédérom L'univers du blason, 2004) ajoute que : « De la technique de l’émailleur, l’héraldique aurait aussi pu emprunter la règle de ne pas employer émail sur émail mais de toujours les séparer par un métal. »
     Aller à l’encontre de cette règle crée ce qu’on appelle des armes à enquerre, ce qui signifie que chacun est en droit de “s’enquérir” du motif de l’infraction à la règle. Comme exemple célèbre d’armes à enquerre, on peut citer les armoiries du royaume de Jérusalem.
     Dans les illustrations suivantes, les deux premières présentent deux variantes de la croix de Jérusalem, la troisième est "faussement" à enquerre, l'argent oxydé ayant foncé jusqu'à pouvoir être pris pour du noir.
"d’argent à la croix potencée au pied potencé et fiché d’or, chargée de cinq points de gueules",
Jérusalem, Die Wappenrolle von Zürich 18 (d'après Boos 269)
"d’argent à la croix de Jérusalem d’or", Royaume de Jérusalem, église de Kalopanayiotis à Chypre (d'après Boos 270) "d'argent à l'aigle de gueules", Otto von Brandenburg, Codex Manesse f°13r (©Universitätbibliothek Heidelberg)
     Un traité de blason du XVe siècle présente comme suit les armes de Jérusalem :
"Celles de Jhérusalem […] toutesfois ne sont pas faulses. Et la raison est, car quant Godefroi de Bullon eut très victorieusement conquise la Terre Saincte, fut advisé et ordonné par les vaillans et preux princes qui en sa compaignie estoient, que en mémoire et recordation d’icelle victoire excellente, lui seroient données armes différentes du commun cours des aultres, affin que quant aulcun les verroit, cuidant que fussent faulses, fut esmeu à soi enquérir pour quoi ung si noble roy porte telles armes, et par ainsi peut estre informé de ladite conqueste." (Douët d’Arcq (Louis), 1858-59, Un traité de blason du XVe siècle, Revue Archéologique 15(1-2) : 327)
Pour aller plus loin - en savoir plus sur les noms des couleurs en héraldique
     Je les présenterai dans l'ordre alphabétique, en ajoutant les termes dans les principales langues européennes [FRA : français ; ENG : English ; DEU : deutsch ; NED : nederlands ; ESP : español ; ITA : italiano]

argent (< latin argentum) – nom masculin – couleur blanche
"d’argent au dextrochère de gueules, mouvant d’une nuée au naturel,
la main de carnation, tenant une épée d’argent, garnie d’or",
Galgano di Cenni, Biccherne 1474, 12 (d'après Boos 879)
En ancien français (AF - Brault) : argent ou blanc ~ blank (fém. blanque) ou blanchet ; seul argent continuera à être utilisé.
     Utilisé en ancien français à partir de 881-882, le terme argent provient du lat. argentum.
[FRA argent ; ENG argent /ɑ:dʒənt/ ou silver ; DEU Silber ; NED zilver ; ESP plata ou argent ; ITA argento ou bianco]

• azur (< latin médiéval azurium < arabe lāzaward < persan lāzward) – nom masculin – couleur bleue
"d’azur à six plumes d’argent, posées en
trois chevrons renversés, les hampes en sautoir",
Caupène, Armorial Le Bouvier BER f°118r (=923) (©BNF)
azur à partir de l’AF (Brault). On pouvait utiliser les variantes aisur, asor, asur, azon, azor, achon, azurin, ou tout simplement bleu ; ou encore pers et inde. Azur bis [bis/bise] était peut-être l’indication d’un bleu foncé.
     Le bleu a été blasonné azur dès le début de l’héraldique.
     Le CNRTL donne l'étymologie suivante pour le terme azur
Empr. par l’intermédiaire du lat. médiév. azurium (cf. vers IXe s. azorium ; cf. aussi IXe s. lazur), forme déglutinée issue de l’ar. lāzaward "lapis lazuli", lui-même issu du persan lāzward "id.". Étant donné l’ancienneté de l’apparition du mot en fr., l’intermédiaire du lat. médiév. est préférable à celui d’une autre lang. rom., ital. ou esp.
[FRA azur ; ENG azure /æʒə:/ ; DEU Blau ; NED azuur ou blaw ; ESP azur, azul ; ITA azzuro]

gueules (< a.fr. gole(s) < lat. gula) – nom masculin – couleur rouge
"de gueules plain", Arnaud-Amanieu, sire d’Albret,
sceau de 1370 (d'après Boos 1)
geules* ou carmin ~ charmin ou rouge ou sinople** ou vermeil en AF (Brault), gueules dans l'Armorial Bigot (BIG 1254), gueulles ~ gheules dans l'Armorial Chifflet-Prinet (CP 1285), gueules dans l'Armorial du héraut Orléans (ORL av. 1342), goules ou vermeilles dans l'Armorial de la Reine Marguerite ou Thomas Jenyn's Book (TJ 1425-50), gueulles ~ guelles dans l'Armorial Le Blancq (LBQ 1560), gueules ou cinabre ou vermillon chez Bara (1581), gueules ou belic*** chez Palliot (1660), gueules ~ gules chez Menestrier (1688), puis gueules depuis lors.
*En AF, seul le “s” final différenciait geules “couleur rouge” de geule “bouche”.
**Sinople a subi un glissement sémantique de “rouge” à “vert”.
***Suite à une erreur d'interprétation d'un armorial en ancien français, le terme belic a vu son sens passer de “oblique” à “rouge” dans les ouvrages théoriques.
      Le CNRTL donne l'étymologie suivante (résumé) : gueules : v. 1150 ; terme d'héraldique dérivé de gueule. Gueule : v. 990 ; du lat. gula "gosier, gorge"
[FRA gueules ; ENG gules /gyu:ls/ ; DEU rot ; NED keel ou rood ; ESP gules ou encarnado ou colorado ; ITA rosso]

hermine (< a.fr. (h)ermin < lat. class. Armenius) – nom féminin – combinaison des couleurs blanche et noire
"d'hermine au naturel", Volkensdorf,
Grand armorial équestre de la Toison d'Or (©BNF)
[blasonné par M. Pastoureau : "d’argent herminé au naturel"]
ermine ~ hermine ou enerminé en AF (Brault), ermine ~ ermines dans CP, ermines dans ORL (av. 1342), ermyne dans TJ (1425-50), ermynnes ou ermynné dans LBQ, hermines ou semé d’hermines chez BARA (1581), hermines chez PALL (1660), puis hermine depuis lors.
     L’hermine est constituée de la fourrure blanche d’hiver de l’animal, semée des extrémités noires de la queue (comme on le voit dans l’illustration au naturel de la Toison d’or). Le phénomène de stylisation a ajouté beaucoup de variantes de formes : la contre-hermine (hermine en négatif), l’herminé (hermine avec couleurs autres que noir et blanc, qui comprend l’herminais qui est noir sur or et qu’on trouve en anglais sous la forme erminois et qui va de pair avec son négatif péan ; on trouve encore l’herminite, noire et rouge, citée par E. de Boos seulement et sans indication de source).
     Étymologie du terme hermine : v. 1140 ; de l’a.fr. (adj.) (h)ermin "d’hermine" ; du lat. class. Armenius "d'Arménie" (dans l'expr. *Mus Armenius "rat d'Arménie" qui désigne l'hermine).
[FRA hermine ; ENG ermine ; DEU Hermelin ; NED hermelijn ; ESP armiños ; ITA armellino]

or (< lat. aurum) – nom masculin – couleur jaune
"d’or à la harpe de sable, cordée de gueules",
Landschad von Steinach, Pays-Bas,
Scheiblers'ches Wappenbuch 120 (©BSB München)
or depuis l’AF avec, à cette époque, d’autres termes comme doré, jaune, safrin.
     Le terme or apparaît v. 881 ; du lat. aurum "or ; couleur de l’or".
[FRA or ; ENG or /o:/ ou gold ; DEU Gold ou golden ; NED goud ; ESP oro ; ITA oro ou giallo]

pourpre (< lat. purpura < gr. πορφύρα) – nom masculin – couleur pourpre
"coupé enclavé en chef d’or et de pourpre",
Manusso, Livourne (d'après Boos 156)
pourpre ~ pourprin en AF (Brault), purpre dans TJ (1425-50), pourpre depuis lors.
     Pourpre est un émail de couleur violacée. Cette teinte est récente. Jusqu’au XVe siècle, ce terme désignait une couleur gris-brun (bise), facile à confondre avec d’autes couleurs abîmées par le temps. Le passage de la couleur bise à la couleur pourpre est à mettre au compte de la redécouverte de l’étymologie latine.
Le CNRTL nous donne pour pourpre :  v. 1265 ; du lat. purpura "pourprier ; couleur, vêtement d’un rouge foncé ; ornement de pourpre, insigne des hautes magistratures ou de la royauté", du gr. πορφύρα.
[FRA pourpre ; ENG purpure /pərpyər/ ; DEU Purpur ; NED purper ; ESP púrpura ; ITA porpora]

sable (< a.b.frq. < russe sobol') – nom masculin – couleur noire
"de sable à la croix ancrée d’argent",
Odilon de Fourchaud, Armorial Revel 499
 (d'après Boos 248)
sable ou noir en AF (Brault), noir dans CP (v. 1290), sable dans ORL (av. 1342), sable ~ sables dans LBQ, puis sable jusqu’à nos jours.
     L’utilisation du terme noir s’est prolongée dans l’usage du blason. Il sera remplacé progressivement par le terme sable. Les textes littéraires attestent de la baisse de fréquence de noir suite à l’introduction de sable, aux alentours de 1250 (G. Brault).
     Le CNRTL nous indique que sable est déjà utilisé v. 1170 ; prob. empr. à l’a.b.frq., lui-même empr. au russe sobol' "zibeline".
     L’héraldique ne suit pas l’étymologie : elle n’associe pas les termes sable et zibeline. En effet, le terme zibeline est parfois utilisé pour qualifier l’hermine au naturel, ce qui peut prêter à confusion (E. de Boos, source non citée).
[FRA sable ou noir ; ENG sable /seybəl/ ; DEU Schwarz ; NED sabel ou zwart ; ESP sable ; ITA nero]

sinople (< lat. impér. Sinopis < Sinope ~ Sinopa) – nom masculin – couleur verte
"de sinople à une rivière d’argent en bande",
Georges Durivault (d'après Boos 890)
vert en AF (Brault), sinople dans ORL (av. 1342 ; sinople en 55=Oignies, à côté de gl “gueules”), vert dans TJ (1425-50), synople dans LBQ (1560) et chez BARA (1581), synople ~ sinope chez PALL (1660), sinople depuis lors.
     Sinople fait partie des termes d’héraldique dont le sens a changé. De “rouge” il a pris progressivement le sens de “vert”. En AF le sens “rouge” primait (on trouve cependant deux occurrences de “vert”). Quand l'ancien français évolue en moyen français, la transformation a eu lieu et, aux alentours des années 1375, sinople n’a plus qu’un seul sens, “vert”.
     E. de Boos signale le terme prasine comme synonyme de sinople (source non citée).
     L'étymologie nous donne sinople : 1172-90 "rouge" => v. 1260 "vert" ; du lat. impér. Sinopis (gr. σινωπίς) "terre de Sinope (rouge)" ; du nom de la ville Sinope ~ Sinopa, port de Paphlagonie [actuellement ville de Sinop, située au nord de la Turquie, au bord de la mer Noire].
[FRA sinople ; ENG vert /və:t/ ; DEU grün ; NED sinopel ou groen ; ESP sinople ou verde ; ITA verde].
N.B. du 10 mai 2014 : le passage du sens "rouge" au sens "vert" s'est effectué plus tôt (et plus rapidement ?) dans les textes littéraires (héraldique imaginaire) que dans les armoriaux. La datation est, en effet, beaucoup plus pointue : 
-- 1172-90 hérald. «couleur rouge» (Chrétien de Troyes, Perceval) [TLF]
-- ca 1260 hérald. «couleur verte» (Menestrel de Reims, 126) [TLF]
La datation peut encore être resserrée à l'aide du texte suivant :
-- peu après 1234 hérald. «couleur rouge» (Huon de Méry, Tournoiement Antechrist) [Persee]. Le commentaire de Max Prinet est : «Les émaux sont désignés quelquefois par un nom technique. La couleur rouge est, çà et là, nommée gueules, […] Sinople est donc rouge ici : il sert de synonyme à gueules. Le plus souvent, c'est l'adjectif vermeil qui caractérise un objet de couleur rouge. […] Les adjectifs noir et vert sont d'usage constant […]; il n'est point parlé du vair héraldique.»
On aboutit à une fourchette 1234/1260 ce qui est fort éloigné du 1375 concernant les armoriaux... [Merci à *Vermant du Forum des Hérauts pour l'information concernant le dernier texte],

vair (< lat. varius "varié, …") – nom masculin – combinaison des couleurs bleue et blanche
"de vair en beffroi", Morgen, al. Morgène"
France (d'après Boos 14)
vair en AF (Brault), vayr dans ORL (av. 1342), veir ~ verre dans TJ (1425-50), vayr ~ vair ou vairé dans LBQ et chez BARA, puis vair depuis lors.
     Le vair est le nom de la fourrure de l’écureuil petit-gris, au dos gris-bleu et au ventre blanc. La stylisation du motif a abouti à des cloches bleues et blanches alternées (ou chapeau de fer, terme signalé par E. de Boos).
     Si le motif est plus petit, on l’appellera menu-vair, plus grand il sera nommé beffroi ou beffroi de vair ou gros-vair.
     Le lien entre vair et beffroi pourrait être difficile à établir, si on ne tenait pas compte du fait que le vair est constitué de motifs appelés cloches ou clochettes et que le mot beffroi a signifié successivement "tour", "tour municipale avec cloche", puis par extension "cloche" seule.
     Vair apparaît v. 1100 et est dérivé du lat. varius "varié, […]".
[FRA vair ; ENG vair /və:/ ; DEU Feh ; NED vaar ou vair ; ESP veros ; ITA vaio]

6 commentaires:

  1. Bonjour,

    Un de mes ancêtre possédait un blason, il était Vicomte, son blason représente trois éperviers encapuchonnés

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    1. Avec le nom, vous devriez retrouver l'écu exact. Bonne recherche...

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  2. Bonjour,

    c'est quoi vos sources pour les armoiries de Jérusalem ?

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    1. Comme indiqué :
      "d’argent à la croix potencée au pied potencé et fiché d’or, chargée de cinq points de gueules", Jérusalem, Die Wappenrolle von Zürich 18 (d'après Boos 269)
      "d’argent à la croix de Jérusalem d’or", Royaume de Jérusalem, église de Kalopanayiotis à Chypre (d'après Boos 270)

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  3. Bonjour,
    Y a t-il une publication dans laquelle la traduction des couleurs dans des supports qui ne peuvent pas les transcrire (comme l'estampe par exemple, ou la faïence de grand feu) est codifiée? Je vois par exemple dans l'image du début de votre article que le rouge (gueules) a l'équivalent de lignes verticales, ou que l'or est placé à côté de petits points… Merci d'avance

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    1. Bonjour,
      La codification des couleurs par système de hachures, pointillé ou absence de marquage, est spécifique à l'héraldique représentée en noir et blanc sur un support papier. Quand les armoiries étaient gravées dans le bois ou sculptées dans la pierre, les indications de couleurs étaient souvent omises, car alourdissant la lecture des armoiries.
      Je ne connais pas d'autres domaines artistiques ayant adopté ce système de représentation des couleurs.

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